See The Sea [Libre]

Anton était arrivé très récemment à Barcelone et il n'avait même pas vraiment encore eu le temps de visiter la ville. Tout ce qu'il en avait vu pour le moment était l'aéroport, quelques rues, un bar enfumé et une minuscule chambre qu'il louait à la semaine en attendant de se trouver une colocation plus agréable à vivre et moins chère. Ce qu'il avait le plus envie de voir dans l'immédiat était la mer. La mer en soi l'avait toujours fasciné et il se sentait la plupart du temps inexplicablement mieux ou en tout cas différent lorsqu'il se trouvait à proximité et ce n'était pas une question de baignade même s'il aimait beaucoup nager.
Les écouteurs de son mp3 sur les oreilles et les mains dans les poches, il arpentait la ville à la recherche de la plage. Il n'eut pas beaucoup de mal à la trouver, elle était bien indiquée et on voyait de nombreuses personnes en maillots de bains, des serviettes à la main ou légèrement vêtues s'y diriger. Anton, quant à lui, n'avait pas encore réussi à se défaire de ses habitudes vestimentaires et donc quitter ses pantalons et ses habits à manches longues peu recommandés à Barcelone. Il avait heureusement revêtu ce jour-là un pantalon blanc qui ne lui tenait pas trop chaud, assorti d'une sorte de chemise en toile bleu foncé. Il écoutait la même chanson en boucle depuis un moment. Mad World.
Cette chanson lui avait toujours donné envie de pleurer, un sentiment qui ne disparaissait pas malgré les nombreuses écoutes. Mais évidemment Anton ne pleurait pas, c'était un garçon et il était en général très mal vu pour un garçon de pleurer. Et puis, il était censé être 'adulte' à présent, et un adulte doit encore moins pleurer, selon l'opinion publique. Il n'avait de toute façon pas versé la moindre larme depuis des années. Depuis le décès de son père précisément. Il n'avait pas pleuré de toute la période de deuil où il avait pourtant souffert comme jamais, il n'avait pas même pleuré à la première tentative de suicide de sa mère, ni à aucune des suivantes. Comme si le jour où son père était mort il avait épuisé toutes ses larmes.
Anton alla s'assoir sur un muret en pierre, sur un bord déserté de la plage, et fixa la mer en face de lui. Elle était magnifique à Barcelone, d'un bleu pur qui donnait fortement envie de se baigner, surtout avec la chaleur qu'il faisait. Et toujours la chanson qui résonnait dans ses oreilles. Elle le touchait beaucoup parce que, pour lui, elle exprimait toute l'absurdité de la vie et, dans son esprit, cette absurdité n'était pas qu'une vague notion. C'était une réalité très dure à laquelle il avait dû faire face. Un jour, tout s'était écroulé dans sa vie. Tout ce en quoi il avait cru, tout ce qu'il avait pu tenter de bâtir, il ne restait plus rien.
Son père était soudainement mort. Et avec lui, toute l'existence facile et dorée d'Anton avait disparue. Il avait dû retourner vivre avec sa mère et ses troubles et son quotidien entier était devenu un calvaire. Il aimait sa mère, vraiment, mais ce n'était pas à lui de l'assumer, ce n'était pas non plus à lui de s'élever lui-même. Et pourtant il l'avait fait, jusqu'à ce qu'il puisse enfin venir à Barcelone, s'éloigner de tout ça. Longtemps, il n'avait plus crû en rien, pas même en la vie. Puis c'était revenu, tout doucement, de petits bonheurs simples, un léger attachement à l'existence, et ensuite l'envie de vivre elle-même.
Et maintenant il se trouvait là, à regarder la mer et à écouter encore et toujours cette chanson avec le soleil qui lui brûlait la peau. Et il se sentait bien, vraiment bien. Une nouvelle vie s'offrait à lui et celle-ci, il ne risquait pas de passer à côté. Même si les surfeurs qui jouaient avec les vagues ne cessaient de lui rappeler douloureusement le jour où son père était mort. C'était peut-être idiot, mais il n'avait jamais pu dissocier le surf du souvenir de la brusque disparition de son père car c'était précisément ce jour-là qu'il en avait fait pour la première fois. Et aussi la dernière car il n'avait jamais plus accepté de toucher à une planche depuis ce jour.
Mais il souriait malgré tout, il souriait envers et contre tout. Il se sentait vraiment prêt à commencer cette nouvelle vie, à prendre un nouveau départ, à effacer toutes les ombres de sa mémoire.
Un bruit juste derrière lui le fit se retourner et l'arracha à ses réflexions.

» Petit Paradis =D [Libre]